Mais qu’a donc mangé votre grand-mère?

Överkalix est une commune suédoise, nichée au coeur de la Laponie, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière finlandaise, tout au fond du golfe de Botnie. A 66 degrés de latitude nord, les habitants se font rares: ils sont désormais moins de 4.000 sur les quelque 278.000 hectares que compte la municipalité. Ces habitants, pourtant, sont depuis quelques années chouchoutés par les chercheurs suédois en génomique.

Ici, en effet, la population a longtemps vécu isolée: les liens, notamment alimentaires, avec le sud du pays étaient difficiles, et surtout au début du printemps, avant les récoltes, en raison du gel de la mer Baltique. La région vivait, autrement dit, quasiment en autarcie.

Isolée, mais tout de même très organisée, puisque des registres très détaillés des récoltes étaient tenus ici dès le début du XVIIIe siècle, complétés, pour les années manquantes, par les données de spécialistes. Du coup, ces informations fournissent aux chercheurs des informations précieuses sur la quantité et la qualité de nourriture que les petits överkalixiens de l’époque ont pu ingurgiter aux environs de leur dixième année, autrement dit, pendant leur période dite «de croissance lente», avant la puberté. Celles-ci dépendant bien sûr aussi de la position sociale des parents (en gros: leur richesse) et du nombre d’enfants dans la maisonnée.

Heureusement pour les chercheurs, les récoltes, dans ces contrées nordiques, étaient rarement stables d’une année sur l’autre, ce qui a soumis les enfants de l’époque à des régimes différents selon les années et selon la saison: la période la plus difficile en cas de mauvaise récolte étant le début du printemps. Au XIXe siècle par exemple, les överkalixiens ont vécu 20 années de bonnes récoltes, 21 années de mauvaises et 59 années de récoltes correctes, les bonnes et les mauvaises années alternant parfois très rapidement.

«Réponse transgénérationnelle»

Depuis une bonne dizaine d’années, une équipe de chercheurs, principalement suédois, étudie à la loupe l’état de santé des descendants des enfants du XIXe siècle. Et ils sont arrivés à des constatations étonnantes: mieux vaut, par exemple, pour un homme, avoir un grand-père paternel ayant souffert de la faim –et y ayant survécu, bien sûr. Cela permet, visiblement, de vivre plus longtemps, et de subir un moindre risque cardio-vasculaire et de diabète, que lorsque Grand-Papa s’est un peu trop goinfré entre 8 et 12 ans, ce qui serait plutôt mauvais pour la santé!

Leur dernière recherche, récemment publiée, établit elle un lien entre la nutrition de la grand-mère paternelle et la santé de sa petite-fille.

Lorsque la première a vécu des périodes de changements importants dans son alimentation –et notamment des périodes de disette fortes faisant suite à des périodes d’abondance–, la seconde a plus de risque d’être victime, une fois adulte, d’accidents cardio-vasculaires que si sa grand-mère paternelle a eu une alimentation plus stable, qu’elle soit riche ou pauvre. Ce n’est pas tant l’aspect drastique ou non de la disette, mais bien les fortes variations dans l’alimentation, qui semblent être en cause. Est ainsi mise en évidence une «TGR», ou «réponse transgénérationnelle». Les changements de régime subis par les trois autres grands-parents, en revanche, ne semblent avoir aucune influence significative sur la santé de leur petite-fille.

Gènes qui «s’allument» ou «s’éteignent»

Pourquoi donc ce lien, qui plus est si spécifique? Les chercheurs penchent pour une explication épigénétique du phénomène. Pour faire (trop) simple, certaines fonctions des gènes «s’allument» ou «s’éteignent» en fonction de l’environnement, sans que pour autant l’ADN ne s’en trouve modifié. Mais ces changements d’état des gènes se transmettent ensuite à la descendance.

En l’occurrence, le signal de la TGR serait transmis par le chromosome X de la mère à son enfant. Si celui-ci est un garçon, il le transmet à son tour à sa fille. Si l’enfant de la mère ayant subi ces grandes variations alimentaires est en revanche une fille, il semble que le signal TGR soit annihilé par d’autres facteurs (le chromosome X transmis par le père?) et ne se transmette pas. Les chercheurs le reconnaissent: s’ils soupçonnent des effets épigénétiques, ils n’ont pas, pour l’instant, pu les prouver.

Mais l’effet, lui, semble établi. Tout comme il a déjà été démontré que les changements de régime alimentaire d’une mère pendant sa grossesse influencent le risque d’infarctus chez son enfant devenu adulte mais aussi le poids à la naissance de son petit-enfant!

Certains, à n’en pas douter, trouveront là une raison supplémentaire pour contrôler la régularité et la qualité de la prise alimentaire de leurs rejetons: car il en va de leur santé, mais aussi de celle… de leurs descendants! D’autres, au contraire, y verront une excuse supplémentaire pour manger comme bon leur plaît: si leurs artères en souffrent, cela ne sera-t-il pas, de toute façon, la faute de Grand-Maman?

Catherine Bernard

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